L'Observateur Moderne

l’Afghanistan: L’heure du bilan

janvier 13, 2025 | by Lysandre Chaabi

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Près de trois ans et demi après le retrait des forces américaines d’Afghanistan, les promesses des talibans sont loin d’être tenues. Mais sommes-nous véritablement surpris ?

Qui sont-ils ?

Les talibans sont un groupe sunnite créé en 1994 pour lutter contre l’État islamique d’Afghanistan. Ils ont grandement bénéficié de la chute de l’Union soviétique et du chaos qu’a entraîné le retrait des troupes de l’armée rouge dans la région. À cette époque, le groupe profite également d’un soutien financier important de familles saoudiennes. Cette émergence se traduit rapidement sur le plan militaire, où il leur faudra seulement deux ans pour prendre le contrôle de Kaboul, avant de dominer, en 1998, près de 90 % du pays dans leur conflit contre l’État islamique d’Afghanistan.

Plusieurs facteurs expliquent le succès des talibans. Tout d’abord, le groupe profite du chaos généralisé qui règne dans le pays. Face à une situation politique instable, ils ont pu bénéficier du soutien du peuple afghan, qui, après des années d’oppression, les voyait comme des libérateurs capables d’apporter de la stabilité. Les talibans ont habilement exploité ce sentiment d’injustice pour se présenter comme des héros et rallier le soutien populaire. De plus, le Pakistan a contribué à leur émergence à des fins économiques, en leur fournissant des fonds considérables.

Les talibans se réclament des lois de la charia. Selon eux, la charia est la seule manière de gouverner un pays, et leur objectif est de faire de l’Afghanistan un modèle d’État islamique. Ils s’opposent fermement aux valeurs occidentales, notamment aux concepts de liberté tels que la liberté d’expression, de religion, ou encore les droits des femmes. Une des valeurs prônées par les talibans est le patriarcat, ce qui réduit considérablement la place des femmes dans la société.

Cependant, le groupe, aujourd’hui dirigé par Hibatullah Akhundzada, reste extrêmement violent. Les talibans ont accédé au pouvoir et s’y sont maintenus grâce à un usage constant de la violence. Entre 2007 et 2021, on estime que près de 47 000 civils ont été tués dans le pays. Le groupe est également responsable de violences contre son propre peuple, incluant des exécutions publiques, des viols, et d’autres formes d’oppression. Par ailleurs, ils ont souvent entretenu des liens étroits avec des groupes terroristes, tels qu’Al-Qaïda. L’Afghanistan avait abrité le groupe terroriste dirigé par Oussama Ben Laden en échange d’un soutien militaire. C’est notamment depuis le territoire des talibans que l’attaque du 11 septembre a été orchestrée par Ben Laden et ses complices, entraînant la colère des États-Unis, qui ont ensuite chassé les talibans du pouvoir.

Quelle est leur politique ?

Pour les talibans, un pays doit être dirigé selon les lois de la charia. La charia, système juridique islamique dérivé du Coran et des Hadiths (paroles et actions du prophète Mahomet), régit à la fois la conduite personnelle et les questions juridiques. Le problème réside dans l’interprétation rigide et archaïque des talibans, qui appliquent ces règles comme si ils étaient figées au 13ᵉ siècle. Ce système conduit à des pratiques violentes : les « éléments perturbateurs » sont publiquement punis par des amputations ou des exécutions publiques.

Les talibans adoptent également une stratégie courante parmi les régimes autoritaires : la censure. Toutes les activités jugées non conformes à l’islam sont strictement interdites. Les libertés fondamentales, telles que celles des femmes, de la presse ou d’expression, sont systématiquement réprimées. Un exemple marquant est celui de Mortaza Behboudi, un journaliste afghan ayant obtenu la nationalité française, emprisonné pendant près de sept mois en 2023 pour avoir simplement exercé son métier. En 2024, on estime que 29 journalistes ont officiellement été incarcérés à cause de cette politique de censure.

Sur le plan économique, les talibans aspirent à rendre le pays économiquement autonome. Ils cherchent à contrôler les ressources naturelles de l’Afghanistan afin de développer des liens économiques, notamment avec le Pakistan et la Chine. Actuellement, environ 60 % des exportations du pays se dirigent vers le Pakistan. Une société chinoise, Gochin, a proposé d’investir 10 milliards de dollars dans l’exploitation du lithium, une ressource précieuse dont la valeur totale des richesses minérales afghanes, comme le cuivre et le lithium, est estimée entre 1 000 et 3 000 milliards de dollars. En 2024, les exportations totales de l’Afghanistan ont été évaluées à environ 2,7 milliards de dollars.

Par ailleurs, les talibans doivent faire face à la menace croissante de l’État islamique au Khorassan (ISIS-K), qui cherche à prendre le contrôle du pays. ISIS-K aurait infiltré ses membres au sein même des talibans. Les deux groupes diffèrent dans leur vision de l’islam : pour ISIS-K, les talibans ont une interprétation « modérée » de la charia. Alors que les talibans se concentrent sur l’Afghanistan, ISIS-K ambitionne d’étendre les lois de la charia à l’échelle mondiale. Entre septembre et novembre 2021, ISIS-K a mené pas moins de 76 attaques contre les talibans. Ce groupe terroriste a également étendu ses actions au sol russe. En mars 2024, une attaque orchestrée par ISIS-K à Moscou a tué 145 personnes et blessé 551 autres, ce qui a poussé la Russie à se rapprocher du régime taliban dans le but de lutter contre cette menace commune.

Pourquoi les talibans posent-ils problème ?

Lorsque les États-Unis quittent l’Afghanistan en 2021, les talibans font la promesse de respecter les droits de l’homme et de ne pas laisser le terrorisme s’installer à nouveau dans le pays. Force est de constater que les talibans n’ont pas tenu parole.

Connus pour leurs liens étroits avec Al-Qaïda, les talibans avaient promis à la communauté internationale d’empêcher le groupe de se réinstaller dans le pays, à la demande des États-Unis, sachant que l’attaque du 11 septembre avait été planifiée en Afghanistan. Cependant, un rapport des Nations unies de 2022 confirmait qu’Al-Qaïda continuait d’opérer dans le pays, avec certains de ses membres enrôlés au sein même des talibans. Ayman al-Zawahiri, le leader de l’organisation terroriste, avait d’ailleurs été éliminé à Kaboul en 2021, confirmant la présence du groupe dans le pays.

Le droit des femmes est un autre problème majeur sous le régime taliban. Les femmes ont vu leurs libertés considérablement réduites depuis leur retour au pouvoir. Aujourd’hui, sortir dans la rue ou même être vue depuis une fenêtre peut entraîner des actes obscènes, comme l’indique un document diffusé par Zabihullah Mujahid sur X. Les talibans ont imposé de nombreuses restrictions aux femmes afghanes, leur interdisant notamment l’accès au lycée. Une Afghane nommée Fatima déclarait : « C’est comme s’ils voulaient nous supprimer, comme si nous n’existions pas. » Zahra, quant à elle, expliquait : « Je me sens prise au piège dans mon propre pays, incapable de bouger librement, » faisant référence à l’interdiction pour les femmes de voyager à l’étranger sans être accompagnées. Enfin, Malalai, une ancienne professeure d’université, témoignait : « Nous ne faisons plus partie de la société, nous sommes juste prisonnières de nos maisons. »

De plus, depuis le retour des talibans, le pays traverse une crise humanitaire majeure. On estime que près de 90 % de la population souffre d’insécurité alimentaire. Environ 2,7 millions d’Afghans ont quitté le pays depuis l’été 2021.

Un autre problème réside dans le rapprochement géopolitique des talibans avec la Chine et la Russie. Ces deux puissances considèrent l’Afghanistan comme un levier potentiel pour stabiliser une région confrontée à la menace croissante de l’État Islamique du Khorasan (ISK-S), qui cherche à étendre son influence. En collaborant avec les talibans, Pékin et Moscou visent à contenir cette menace tout en protégeant leurs intérêts régionaux. Ce rapprochement n’est pas seulement sécuritaire, mais aussi économique. L’Afghanistan, riche en ressources naturelles et stratégiquement situé au cœur de l’Asie, devient un partenaire économique de choix, notamment pour la Chine. Avec ses ambitions liées à l’initiative « La Ceinture et la Route », Pékin voit dans cette coopération une opportunité d’élargir son influence commerciale et infrastructurelle dans la région.

En outre, cette alliance sert des objectifs géopolitiques plus larges. Pour la Chine et la Russie, renforcer leurs liens avec les talibans constitue un moyen de défier les États-Unis dans la compétition pour le leadership mondial. En intégrant l’Afghanistan dans leur sphère d’influence, ces puissances cherchent à réduire l’hégémonie américaine et à consolider leur rôle dans le remodelage de l’ordre mondial.

En conclusion, le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan symbolise une désillusion amère. Plus qu’une surprise, c’est un cruel rappel de la naïveté occidentale, qui a misé sur des promesses vite oubliées par les nouveaux maîtres de Kaboul. Les droits humains, notamment ceux des femmes, sont aujourd’hui piétinés dans une indifférence presque résignée de la communauté internationale. Quant à la stabilité espérée, elle reste un mirage. L’Afghanistan demeure un foyer de tensions alimenté par des enjeux géopolitiques complexes, où la rivalité des grandes puissances se mêle à une insécurité persistante. Cette situation pose une question brûlante : dans un monde où les rapports de force deviennent de plus en plus multipolaires, les valeurs démocratiques et humanitaires ont-elles encore leur place face aux intérêts économiques et stratégiques ?


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