L'Observateur Moderne

L’Europe: Nouveau leader du monde libre?

mars 17, 2025 | by Lysandre Chaabi

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Claude Malhuret, sénateur français, déclarait le mercredi 5 mars 2025 que « Washington est devenu la cour de Néron ». Depuis la prise de pouvoir de Donald Trump en janvier dernier, les États-Unis ont opéré un virage drastique et ont pris leurs distances avec leurs alliés européens. Après la dernière visite officielle de Zelensky à Washington, peut-on penser que les États-Unis ne sont aujourd’hui plus les leaders du monde libre ?

Pourquoi pouvons nous nous poser la question aujourd’hui?

Un premier facteur qui pourrait expliquer le fait que les Etats-Unis ne sont à l’heure actuelle plus les leaders du monde libre, c’est leurs bipolarité. Le jeu de la chaise musicale entre démocrate et républicains a sur le long terme eu un impact sur la crédibilité des Etats-Unis à l’internationale. Aujourd’hui, nous ne pouvons dire par exemple quelle est la ligne directrice des Etats-Unis vis à vis des accords pour le climat. Barack Obama avait signé les accords de Paris en 2015 avant que Donald Trump ne s’en retire lors de son premier mandat. Ce cercle vicieux ets toujours d’actualité aujourd’hui puisque Joe Biden s’était engagé à revenir dans les accords avant que Trump n’en décide autrement une nouvelle fois. Aujourd’hui, les pays alliés des Etats-Unis ne peuvent pas considérer la première puissance mondiale comme un allié fiable.

Cette bipolarité politique a également fragilisé la crédibilité du pays en envoyant dans un premier temps joe biden ( 82 ans) et Donald Trump (78) se battre pour la maison blanche. Cette perte de crédibilité auprès de ses plus fidèles alliés a contribué à renforcer l’antiaméricanisme que subissent les Etats-Unis depuis le début du siècle. Cela s’exprime dans les chiffres puisque selon une enquête du Pew Research Center réalisée entre le 10 juin et le 3 août 2020, seulement 41 % des Britanniques et 31 % des Français avaient une opinion positive des États-Unis. Plus alarmant encore, un sondage réalisé par l’institut Odoxa et publié le 1er mars 2025 indique que 60 % des Français ne considèrent plus les États-Unis comme un pays allié.

L’entrevue très médiatisé entre Trump et Zelensky a également renforcé l’idée que les Etats-Unis ne sont plus à la tête du monde libre. Zelensly venu rencontrer Trump dans l’optique de trouver un moyen de mettre fin au conflit tout en s’assurant du soutien des Etats-Unis en est sorti humilié et chassé de la maison blanche. Trump semble plus enclin à négocier avce son homologue du Kremlin ce qui peut susciter des inquiétudes sur les réelles motivations du président américain. Il semble qu’entre le monde libre et l’autre monde, trump ait choisi le camp de poutine.

Cette perte de foie envers les Etats-Unis pourrait également s’accentuer au cours des prochains mois. Elon Musk, à la tête du ministère de l’efficacité gouvernementale, estime que les Etats-unis doivent quitter l’Onu ainsi que l’Otan, organisations dont les Etats-unis sont des membres fondateurs. Musk estime que ce retrait serait légitime car les Etats-Unis payent bien plus que leurs alliés. Or, un retrait des Etats-Unis de l’Otan, censé protégé le monde libre, symboliserait la perte du leadership du monde libre par Trump et son pays.

L’Europe peut-elle le faire ?

La dernière visite d’Emmanuel Macron à Washington a fait forte impression dans le paysage politique mondial. Macron aura eu le mérite de regarder Trump « les yeux dans les yeux » et même de le corriger devant une horde de journalistes, notamment concernant le financement de l’aide à l’Ukraine.

Depuis cette rencontre et celle de Trump avec Zelensky, l’Europe semble, pour la première fois depuis de nombreuses années, s’être opposée de manière drastique aux États-Unis, comme si elle avait pris conscience qu’elle seule voulait la paix en Ukraine. La France et l’Union européenne ont, à l’issue de cette rencontre, réitéré leur soutien envers l’Ukraine, tout comme le Royaume-Uni, via son Premier ministre Keir Starmer, qui a déclaré que « le Royaume-Uni reste fermement aux côtés de l’Ukraine dans sa lutte contre l’agression russe. » L’Union européenne peut également compter sur le soutien des Britanniques pour assumer ce nouveau statut, comme en témoigne également la dernière rencontre des leaders européens à Londres. L’Europe tient aujourd’hui une position bien plus ferme à l’égard de la Russie que les États-Unis, ce qui paraissait invraisemblable il y a seulement quelques années.

L’Europe, leader du monde libre, n’est plus une impression mais une conviction. Lors de son allocution du mercredi 6 mars dernier, le président français a décrit l’Europe comme une union possédant « la force économique, la puissance et les talents pour être à la hauteur de cette époque », avant de rajouter « et que nous nous comparions aux États-Unis d’Amérique, a fortiori à la Russie, nous en avons les moyens. » Emmanuel Macron veut d’une Europe souveraine et impactante dans les affaires mondiales, et cette guerre en Ukraine est « presque » devenue une opportunité d’atteindre ce statut.

Concernant le conflit en cours à Gaza, l’Europe tient également une position bien plus forte vis-à-vis des actions d’Israël envers le peuple palestinien, tout en condamnant le Hamas et en demandant le retour des otages. Les États-Unis et Trump ont fait passer l’idée que, depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, le sort des Palestiniens n’importait pas. Pourtant, une fois encore, c’est l’Europe qui a pris des mesures fortes pour condamner les actions du gouvernement israélien. L’Italie, l’Allemagne et l’Angleterre ont réagi favorablement au mandat d’arrêt international imposé par la CPI à l’encontre du président israélien.

Un phénomène intéressant avec cette montée en puissance de l’Europe, c’est que les jeunes européens semblent conquis par ce nouveau visage de l’Union. Les publications TikTok et Instagram mettant en avant une Europe unie et désormais leader du monde libre affluent sur ces plateformes. Il y a également un grand nombre de publications d’utilisateurs américains louant les « performances » des leaders européens et critiquant Trump.

L’Europe semble disposer des ressources nécessaires pour se placer à la tête du monde libre. Les Européens, ambitieux et auteurs d’une démonstration sur le plan géopolitique dernièrement, combinés à la politique étrangère américaine actuelle, pourraient à moyen terme assumer ce rôle de leader.

Est-ce faisable ?

La relation entre les États-Unis et ses fidèles alliés européens s’est dégradée depuis l’accession au pouvoir de Donald Trump. La rhétorique trumpiste est que les États-Unis régulent le monde et n’ont pas besoin d’aide extérieure. Or, cette rhétorique ainsi que l’état des relations transatlantiques pourraient à long terme porter préjudice aux Américains.

Si la relation entre Américains et Européens venait à se dégrader encore plus dans les mois à venir, les États-Unis pourraient perdre des alliés précieux, ce qui les isolerait encore plus sur le plan international mais fragiliserait également grandement leur économie. L’Allemagne exporte chaque année 84 milliards d’euros dans le domaine automobile, un secteur dont les Américains ont grandement besoin. La France, quant à elle, possède des contrats dans l’aviation civile (Airbus) à hauteur de 97 milliards de dollars avec les États-Unis. La Grande Bretagne possède des contrats avec les Etats-Unis dans le monde financier s’élevant a 174 milliards de dollars et un affaiblissement des relations entre ces deux pays pourrait paralyser Wall Street. Même si Donald Trump refuse toujours de l’admettre, les États-Unis et leur économie dépendent notamment de l’Europe. Un affaiblissement des relations transatlantiques pourrait sur le long terme affaiblir la première puissance mondiale.

L’Europe, c’est également des alliés militaires importants pour les États-Unis. La majeure partie d’entre eux fait partie de l’OTAN et est alliée aux Américains. Toutefois, une relation fragile avec l’Europe isolerait encore plus l’Amérique, que l’on sait en concurrence avec la Chine ou encore la Russie dans cette quête à l’hégémonie mondiale.

Voir l’Europe aujourd’hui prendre la place de nouveau leader du monde libre est un scénario envisageable. Cela ne signifie pas que l’Europe deviendrait plus puissante que les États-Unis. Les États-Unis restent la puissance militaire et économique la plus dominante au monde. Seulement, leur administration prône aujourd’hui des valeurs contraires à celles d’un pays censé être une police du monde. L’Europe, via les prises de position de ses leaders, incarne une unité plus grande et une fiabilité plus stable que les États-Unis.

Cette crainte de voir l’Europe prendre une certaine indépendance vis-à-vis des États-Unis semble toutefois avoir été prise au sérieux par Washington. Les États-Unis ont relancé leurs aides à l’Ukraine, eux qui avaient stoppé toutes négociations avec Zelensky. Si la raison officielle est que le président ukrainien s’est excusé auprès de son homologue américain, nul doute que cette relance de l’aide ukrainienne est également une opportunité pour les États-Unis de ne pas froisser encore plus ses alliés européens.

La question aujourd’hui n’est finalement pas de savoir si l’Europe peut prendre la place de leader du monde libre mais plutôt de savoir si elle doit le faire. L’administration Trump, aveuglée par son unilatéralisme, ne semble plus concernée par ce devoir. Les pays européens, qui voient le continent être de nouveau touché par la guerre, ont adopté une posture bien plus ferme à l’égard de Moscou. En 1945, le monde s’est séparé entre l’Ouest et l’Est dans ce que Churchill a appelé le rideau de fer. Aujourd’hui, entre les caprices de l’Ouest et les menaces de l’Est, l’Europe semble émerger comme le camp du milieu et de la rationalité. Le rêve américain, jadis symbole d’opportunités et de réussite, a désormais son équivalent de l’autre côté de l’Atlantique : le rêve européen, symbole d’unité.

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