Imaginez-vous en safari dans une savane vivante, où la symphonie de la vie est assourdissante. Imaginez maintenant cette même savane réduite au silence, ses habitants majestueux disparus, victimes de la guerre silencieuse et mortelle menée par les braconniers. Il ne s’agit pas d’une scène tirée d’un film d’horreur, mais de la triste réalité à laquelle doit faire face le monde animal. Le braconnage entraîne la disparition alarmante de nombreuses espèces, bouleversant ainsi l’équilibre fragile de nos écosystèmes et menaçant directement nos sociétés. La question est maintenant de savoir comment enrayer la menace croissante du braconnage qui, en décimant la biodiversité, compromet non seulement l’équilibre écologique de notre planète, mais aussi la sécurité et le bien-être de nos sociétés futures.
Comment expliquer la montée du braconnage ?
Le braconnage est un fléau qui se développe depuis des siècles. Il s’est étendu dans différentes régions du monde grâce à plusieurs facteurs. Certaines sociétés, notamment en Asie, voient dans le braconnage la possibilité de faire des miracles médicinaux. Les rhinocéros et les tigres sont les principales victimes de cette croyance. Des centaines de tigres sont tués chaque année pour leurs os, leur peau, et d’autres parties du corps, utilisés dans la médecine traditionnelle pour leurs prétendues vertus curatives. Un seul tigre peut rapporter jusqu’à 50 000 $ sur le marché noir.
Le braconnage sert également à attirer du tourisme. En Thaïlande, par exemple, des tigres et des éléphants sont retenus captifs et sont drogués dans d’horribles conditions. L’Occident profite aussi du braconnage, principalement dans la mode. On estime qu’environ 1 million de crocodiles sont tués chaque année pour l’industrie de la mode, principalement en Afrique et en Asie.
Le manque de connaissance de nos civilisations a également causé la disparition d’un grand nombre d’espèces. À l’âge de la révolution industrielle, l’Occident était désespéré à l’idée de trouver de l’électricité. Une croyance de l’époque était que la cervelle des cachalots pouvait servir à produire de l’électricité. Cette croyance a entraîné la disparition de 80 % de l’espèce en raison de la chasse qui en a découlé.
Certaines sociétés considèrent le braconnage comme une méthode extrêmement lucrative. Elles ignorent les bénéfices à long terme que peut engendrer leur biodiversité. Certaines sociétés sont corrompues jusqu’au sein même de leurs gouvernements. Des États comme le Mozambique ou le Zimbabwe ont longtemps accepté les pots-de-vin offerts par les braconniers. Au Mozambique, par exemple, le gouvernement a refusé de considérer le braconnage comme un délit jusqu’en 2014. L’Environmental Investigation Agency (EIA) a publié des rapports prouvant que des membres des forces de l’ordre au Mozambique étaient impliqués dans le braconnage d’éléphants et le trafic d’ivoire, souvent en lien avec des réseaux criminels en Asie. Ce n’est qu’en 2014 qu’une loi a enfin été adoptée pour lutter contre le braconnage. Cette loi faisait suite au comptage aérien alarmant effectué par le WWF affirmant que près de 50 % des éléphants de la région avaient été exterminés. « Au parc national de Quirimbas (sur la côte nord-est), près de la moitié des éléphants observés depuis le ciel fin 2013 étaient des carcasses. Une action internationale d’urgence est nécessaire », avait plaidé le WWF dans un communiqué. L’ivoire était vendu 50 dollars (36,70 euros) le kilo localement à des intermédiaires, soit 500 dollars par défense, et cela représentait tellement d’argent que « des gens qui ne braconnent pas habituellement ou sans lien avec des acheteurs essaient d’attraper des éléphants », selon l’administrateur Chande Baldeu.
Le dernier facteur expliquant cette montée se trouve être la nature humaine. Il n’est pas nouveau de savoir que l’être humain est cupide et aime se mettre en avant. Certains, recherchant désespérément le prestige, se sont tournés vers le braconnage afin de se mettre en valeur aux côtés de leurs victimes. Richard Leakey, célèbre paléontologue et ancien directeur du Kenya Wildlife Service, illustre ce point en affirmant que « Le braconnage ne fait pas que détruire la faune ; il nourrit aussi l’ego des criminels qui se sentent invincibles en contournant la loi et en accumulant des richesses à travers ces actes destructeurs ».
Pourquoi devons-nous agir ?
La disparition des espèces ne se limite pas à une crise du monde animal ; elle touche également nos sociétés de manière indirecte mais profonde, avec des conséquences diverses et variées.
Le premier impact du braconnage sur nos sociétés réside dans son rôle aggravant du réchauffement climatique. Les animaux ont des rôles bien précis dans le monde, que ce soit à travers leur place dans la chaîne alimentaire ou pour leurs actions contre le réchauffement climatique. La jungle amazonienne, où plus de 3 millions d’espèces et près de 2 500 espèces d’arbres vivent, souffre aujourd’hui de la déforestation. La destruction des forêts détruit les habitations, l’habitat, et les sources de nourriture des espèces qui y vivent. On estime que 100 000 espèces disparaissent chaque année dans les forêts tropicales. 14 % de la déforestation annuelle mondiale a lieu en Amazonie. La déforestation que subit la forêt, surnommée « le poumon vert » de notre planète, favorise l’émission des gaz à effet de serre. La déforestation des forêts tropicales génère chaque année des milliards de tonnes de CO2, à hauteur d’environ 12 % des émissions mondiales anthropiques annuelles de gaz à effet de serre, favorisant ainsi le réchauffement climatique. Le braconnage des grands singes en Afrique centrale, et notamment des gorilles, favorise également ce phénomène climatique. Une équipe pilotée par Edu Effiom, de l’université de Lund (Suède), a observé que là où les primates ont disparu, les essences aux graines petites et légères, transportées par le vent sur de longues distances, ont supplanté les arbres à grosses graines ou à coque dure. « Les singes, les éléphants, les grands rongeurs ont été braconnés à mort. Or tous ces animaux jouent un rôle important dans la dynamique forestière », souligne François Bretagnolle, de l’université de Bourgogne. Ce phénomène se nomme la « défaunation ».
Le braconnage impacte également nos économies. La pêche intensive et illégale entraîne une surexploitation des stocks de poissons consommables dans l’océan. Actuellement, la quantité de poissons pêchés tourne autour de 100 millions de tonnes par an, soit quatre fois plus qu’en 1950, selon la FAO. Or, cette pêche fragilise l’écosystème sous-marin et entraîne l’extinction d’un grand nombre d’espèces. Il y a de moins en moins de poissons dans l’océan à cause de cette pêche et de l’incapacité des poissons à se reproduire assez vite. Elle menace ainsi directement l’avenir de la pêche elle-même, qui risque de ne plus être rentable. La pêche intensive met également en péril l’économie des pays locaux. Dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, au moins 10 % de la population tire ses revenus de la pêche, comme au Bénin (10 %), au Ghana (10 %), au Cap-Vert (14,6 %) ou encore en Gambie (15,4 %). La pêche continentale et côtière, ainsi que la transformation et la commercialisation des produits de la pêche, représentent entre 6 et 9 millions d’emplois à plein temps ou temps partiel en Afrique subsaharienne. Grâce à la pêche, de nombreuses familles démunies sont moins exposées aux risques et peuvent compléter et diversifier leurs revenus. La pêche constitue aussi un « filet de sécurité » pour les populations pauvres lorsque les autres débouchés économiques sont limités ou pendant les saisons où les autres sources d’alimentation, comme l’agriculture, diminuent. L’affaiblissement des fonds marins fragilise donc les emplois de ces pays et, avec cela, leurs économies.
Nous devons également agir d’un point de vue éthique. Notre espèce est aujourd’hui responsable de la disparition de milliers d’espèces. Notre espèce est finalement, dans l’histoire de notre planète, très jeune mais pourtant si destructrice. Chercher à sauver les espèces de notre monde, c’est avant tout préserver la vie. « Quand je regarde dans les yeux d’un animal, je ne vois pas un animal, je vois un être vivant, je vois un ami, je sens une âme », disait l’auteur Anthony Douglas Williams. Les préserver, c’est offrir aux générations futures l’opportunité de grandir avec ces animaux, de les voir s’émerveiller devant eux comme nous l’avons tous fait.
Que faire ?
La première chose à faire est de s’informer. On ne peut lutter contre un danger que l’on ne connaît pas. S’informer, c’est permettre aux enfants de ne jamais perdre de vue le monde animal. Des intervenants en cours de SVT ou des chapitres se concentrant sur la sauvegarde de la faune mondiale pourrait aller dans ce sens. Cela permettrait aux nouvelles générations de prendre conscience du problème et de se joindre à la lutte. Une sensibilisation des adultes serait également nécessaire, à travers des émissions, des publicités ou sur les réseaux sociaux. Créer et promouvoir des contenus engageants et viraux sur les réseaux sociaux peut mettre en lumière l’importance de la lutte contre le braconnage, incitant les utilisateurs à partager et à s’engager dans la cause. Cela pourrait également entraîner une hausse des donations. Les associations bénéficiaires de ces fonds deviennent des acteurs essentiels dans la bataille pour sauver les espèces menacées. L’association World Animal Protection a pu créer, grâce aux donations, huit zones du patrimoine faunique. « Ce sont des lieux où la faune et les communautés coexistent en harmonie, favorisant la prospérité mutuelle, » affirme le site officiel de l’organisation.
Une autre solution serait d’investir dans les sociétés susceptibles de céder aux sirènes du braconnage. Une campagne soulignant les avantages à long terme d’une société qui valorise et protège sa faune pourrait persuader les gouvernements concernés d’agir. Le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) a investi des millions de dollars dans des projets de conservation en Afrique, visant à protéger les espèces menacées et à renforcer les capacités des gouvernements locaux pour lutter contre le braconnage. Par exemple, au Zimbabwe, le FEM a financé des projets pour améliorer la gestion des parcs nationaux et développer des alternatives économiques pour les communautés locales, réduisant ainsi leur dépendance au braconnage. La Banque Mondiale a également cherché à promulguer ce message auprès de certains pays d’Afrique. Elle a ainsi financé plusieurs projets visant à renforcer les institutions de conservation et à promouvoir le développement durable. Par exemple, au Gabon, la Banque Mondiale a soutenu des initiatives pour développer l’écotourisme comme alternative économique au braconnage, créant ainsi des emplois pour les populations locales tout en protégeant la biodiversité.
Un renforcement de la justice serait également nécessaire. En France, un braconnier reconnu coupable peut écoper d’une peine de 10 ans d’emprisonnement et de 7 500 000 euros d’amende. Alourdir cette peine pourrait être un moyen de réduire l’impact du braconnage. Les entreprises se servant du braconnage à des fins commerciales pourraient également voir des peines plus sévères appliquées. Kering (maison mère de Gucci) avait été au cœur d’un scandale en 2017 lorsqu’il avait été révélé que l’entreprise avait utilisé du python et d’autres peaux exotiques dans ses produits, en grande partie grâce au braconnage en Asie du Sud-Est. L’entreprise n’avait toutefois pas été condamnée juridiquement. Des sanctions plus sévères permettraient également de réduire le braconnage, comme ce fut déjà le cas par le passé. En 2009, Eagle Side Trading a été découverte en train d’acheter et de revendre des cornes de rhinocéros, ce qui est strictement interdit par les lois internationales. L’entreprise avait été lourdement sanctionnée par le gouvernement chinois, qui avait également fermé ses opérations.
Une dernière solution serait d’accorder plus de place à la protection des animaux dans le paysage politique. Cela pourrait pousser les politiciens à prendre le sujet plus au sérieux et à y consacrer une plus grande partie de leurs programmes. Janez Drnovšek, ancien président de la Slovénie, était un fervent défenseur des droits des animaux et de la protection de l’environnement. Il avait utilisé sa position pour promouvoir des politiques de protection des animaux. Il avait notamment plaidé pour la protection des animaux dans divers forums internationaux et soutenu des initiatives visant à améliorer les conditions de vie des animaux dans son pays. Le monde politique pourrait également chercher à faire passer plusieurs lois allant dans ce sens. L’Endangered Species Act, voté en 1973 aux États-Unis, avait accordé aux animaux du pays des droits réduisant ainsi drastiquement la chasse illégale. La loi aurait, selon le ministère de l’intérieur, sauvé des centaines d’espèces depuis sa mise en vigueur. Une politique davantage axée sur la protection des animaux pourrait s’avérer être un atout majeur contre le braconnage.
Au fil de notre histoire, nous avons évolué en symbiose avec la nature, allant jusqu’à la dominer à bien des égards. Mais cette domination a souvent signifié affaiblir ce qui nous a tant donné. Lutter contre le braconnage ne se résume pas à apaiser nos consciences ou à protéger nos sociétés ; c’est reconnaître une responsabilité profonde. L’humanité a désormais un devoir, une dette envers la nature qu’elle doit honorer.
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