L'Observateur Moderne

New York: Pris au piège?

septembre 6, 2024 | by Lysandre Chaabi

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Que serait New York sans ses buildings et les buildings sans New York ? Il est difficile de répondre à cette question tant les deux sont associés. Aujourd’hui, pas moins de 280 buildings s’élèvent à plus de 150 mètres au-dessus de la ville. Pourtant, cette harmonie entre la ville et ses tours semble désormais peser sur l’équilibre de la métropole.

Pourquoi New York construit autant ?

La construction de ces buildings, notamment sur l’île de Manhattan, représente une source de revenus conséquente pour la ville. Les taxes foncières à New York, payées par les propriétaires de biens immobiliers, ont représenté un cinquième du total récolté par la ville en 2023, soit plus de 6 milliards de dollars. Ces milliards sont ainsi directement injectés dans le budget total de la ville, s’étendant à 107 milliards de dollars.

La construction de ces buildings favorise également la création d’emplois, notamment dans le domaine de la construction. D’après MetropolisNY, la construction de bâtiments à New York a créé environ 143 000 emplois en 2023, un chiffre en légère augmentation par rapport à 2022, où 139 000 emplois étaient enregistrés dans le secteur de la construction de bâtiments.

New York également construit non seulement pour répondre à la demande économique, mais aussi pour renforcer son image emblématique. Depuis toujours perçue comme la porte d’entrée vers le rêve américain, la ville attire des millions de touristes chaque année, fascinés par sa célèbre skyline. Ce panorama urbain, un symbole du dynamisme américain, pousse New York à se « surpasser » constamment dans la construction de gratte-ciels toujours plus hauts et innovants.

Cependant, la ville semble être piégée dans un cercle vicieux. Depuis des décennies, elle est vue comme un modèle d’avant-garde, tant par son style de vie que par son architecture. Pour maintenir cette réputation, elle doit sans cesse se réinventer. Ce besoin constant de modernisation est d’autant plus pressant face à l’émergence de nouvelles mégapoles, notamment en Asie, où des villes comme Dubaï et Hong Kong rivalisent désormais avec New York en termes de hauteur, d’innovation architecturale et d’ambition économique.

Quel impact sur la ville ?

La première conséquence de la construction de cette skyline est le renforcement des inégalités. Des investisseurs fortunés et des résidents très riches sont souvent intéressés par l’acquisition des gratte-ciels new-yorkais, ayant pour conséquence première de créer un phénomène de gentrification. Cet attrait des élites a entraîné une hausse importante des prix de l’immobilier dans les quartiers concernés, ainsi qu’une augmentation du coût de la vie. Entre 1990 et 2014, les revenus des ménages dans les 15 quartiers en pleine gentrification, comme Central Harlem et le Lower East Side, ont augmenté de 14 %, tandis que dans les quartiers non-gentrifiés, les revenus ont chuté de 8 % en moyenne.

Les gratte-ciels de New York, en particulier ceux qui abritent des résidences de luxe, sont également souvent acquis par des milliardaires, qu’ils soient américains ou étrangers. Utilisés comme résidences secondaires, ces appartements restent inoccupés la majeure partie de l’année, tandis que les New-Yorkais, en particulier les classes moyennes et basses, peinent à accéder à des logements abordables. La majorité des bureaux présents dans ces buildings sont vides et le New York Times a révélé que l’espace de bureaux actuellement disponible pourrait remplir 27 One World Trade Centers. Ce phénomène exacerbe la concentration de la richesse, renforçant les inégalités déjà présentes. Pendant ce temps, la demande de logements abordables ne cesse de croître. En 2023, la ville a enregistré un taux de vacance des logements locatifs historiquement bas, à 1,4 %, le plus faible depuis plus de 50 ans. Pour les appartements à loyer modéré (moins de 2 400 $), ce taux chute à moins de 1 %, aggravant ainsi la difficulté pour les ménages à revenu modeste de trouver un logement.

Le dernier impact notable, c’est que New York ne semble plus appartenir à ses habitants. Les habitants ne peuvent plus vivre au cœur de Manhattan étant donné le coût de la vie. Ils semblent également avoir perdu leur influence. Un nouveau bâtiment nommé « Nova » haut de 262 mètres et situé au 262 de la Cinquième Avenue, sera opérationnel en 2026, malgré la forte désapprobation de la population. L’Empire State Building incarne un autre symbole poignant de la perte de souveraineté du peuple de New York. Le bâtiment fut construit pour redonner espoir au peuple new-yorkais durant la Grande Dépression. Il était visible partout dans la ville et l’on pouvait y monter pour la modique somme de 1 $. Aujourd’hui, le bâtiment est perdu dans la skyline et le prix pour accéder à son célèbre 102ème étage est de 80 $.

Des solutions ?

La construction de buildings pourrait ralentir dans la Grande Pomme. Les prix de construction à Manhattan ont explosé et les banques ne veulent plus prêter de sommes aussi importantes. « Il est difficile de justifier un premier coup de pelle lorsque les fondamentaux de l’offre et de la demande sont déréglés », avait déclaré James Millon, président de CBRE, une société de services immobiliers, qui aide les promoteurs à obtenir des capitaux. Manhattan entre ainsi dans sa plus grande sécheresse de construction de buildings depuis la crise de l’épargne et du crédit à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Les promoteurs admettent aujourd’hui que la prochaine vague de grandes tours de bureaux pourrait ne pas voir le jour avant le début des années 2030, voire plus tard.

Pour conclure, si New York ne doit pas cesser d’innover et de bâtir en se projetant vers l’avenir, elle doit toutefois d’abord se concentrer sur la résolution des défis actuels qui pèsent sur son développement, afin de construire un futur à la fois ambitieux et durable.

il est également intéressant de se demander si New York ne serait pas un reflet de la condition humaine. L’Empire State Building pourrait être perçu comme une métaphore de notre nature intrinsèque, désormais dissimulée derrière des structures superficielles qui s’élèvent telles des tours modernes. Ces tours représentent les vertus que nous avons cultivées au fil du temps. Toutefois, en adoptant ces attributs, nous avons peut-être également altéré notre essence profonde. Ce gratte-ciel iconique devient ainsi le symbole de la transformation humaine, où l’identité originelle se retrouve voilée par des façades de succès et de progrès, peut-être au prix de notre authenticité. Et maintenant, devons-nous également sortir d’un piège que nous avons nous-mêmes créé ?

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